INSOMNIE LACTEE





INSOMNIE LACTEE



Entre les arbres nus, déluge d'ombres claires
Ton reflet stupéfait tout barbouillé de brume
Tressaillement soudain, vertige ridicule
Sous une roue de camion, simple fait divers.

Tant de possible dans le mouvement des mains
Image furtive de sereins lendemains
Oser s'en remettre aux prières inutiles
Se nourrir de ta voix comme d'une terre fertile.

S'en fiche éperdument le temps qui sonne l'heure
Et je m'en vais déserte rassasier la douleur
Espoir coulé au plomb de tes formules,
Tes bonsoirs affables arrachent le bitume.

Insomnie lactée éblouie d'idées noires
Désir obscène d'essorer les couleurs
Abolir la nuance pour s'en faire un linceul
Coeur ouvert à la gorge d'un hoquet dérisoire.


La face cloquée des anges



Du sang blanc dans les veines
Orante à l'agonie,
Du haut de mon perchoir
J'ai fusillé la nuit.
Macrocéphale hideux,
Echancrure vénéneuse,
Absurde trajectoire
La culasse a frémi.
J'ai entendu le rire
Insolent des étoiles,
J'ai même entendu Dieu
qui pariait, sûr de lui !
Du haut de mon perchoir
La face cloquée des anges
Se mirait à l'envi
Au doux éclat cuivré
De la balle amorcée.





Perles de plâtre



En marche arrière je crois
du varech sous les pieds,
coulée de lave noire
et ton sourire idiot épinglé sous les toits.

Place de la République
cheveux défaits, cambrure
tourne le carrousel
et les rires d'enfants comme un chapelet d'injures.

Coincée entre deux pavés
cloque opalescente,
la ritournelle insiste, carotide tranchée
visage radieux des mères si aimantes.

Aux branches effeuillées
comme des perles de plâtre,
j'ai accroché mes larmes
et la vieille cité en a bien rigolé.








De l'écriture

Sous la lampe à trois pieds
une rame de papier,
le vide apostrophé
           erreur d'aiguillage.

Les images se déhanchent
les bruits se superposent,
étirement du temps comme un feuilletage dense
un corps qui se déplie
           et ouvre ses allées.

La mémoire ricane, agite ses pantins
mais déjà se rebelle, initiale, la lettre
qui dira la stupeur
          du rêve halluciné.

Coude droit, coude gauche, un cahier gribouillé
et les marges offertes, blocs lumineux dressés
entre urgence de dire
          et pudeur du secret.

Curieuse vérité qui s'inscrit en ratures
tandis que le néant engrossé d'anecdotes
s'obstine à l'imposture
d'une histoire qui se cogne aux limites idiotes
           de ce triangle obtus.




Caresse de granit

Entre flaque océane, taillis de Brocéliande
toute bordée d'embruns à gercer tes pavés
tu enchantais l'errance funambule
aux accents enlacés de légendes étranges.

Nous étions belles alors, avec nos cernes fiers
portant une nuit commune de rêves mêlés au sel
cliquetis de talons dans l'ombre des ruelles
larmes enflées d'étreintes éphémères.

Des crasses ignorances tu défaisais la peau
bouteilles à la mer parmi tous tes genêts
le galbe de tes jambes pareil à mes regrets
caresse de granit à s'écorcher le dos.

Parmi tant de rumeurs et de pas égarés
rappelle toi le cri, l'écorchure sublime
rappelle toi pour moi, moisissures de bitume
derrière une poubelle vide, un chat noir tout pelé.






             Fixation de bonheur

       



           Je te voulais léger, moelleux comme une gomme
           arabique qui efface,
           comme un bonbon fourré qui enrobe l'amer,
           un papier d'Arménie qui encense l'espace,
           la durée abolie, fixation de bonheur.

           Je te voulais douillet, soyeux comme l'automne
           qui assourdit les pas, tapis de feuilles mortes
           et la peau qui rougit, le froid qui mordille
           et vous donne des envies de bols de chocolat.

           Je te voulais confiant, à jamais tu sais bien
           que promettre est un leurre
           mais tu voulais des mots, des phrases, des serments
           qui ne servent à rien, qui comptent pour du beurre
           et finissent toujours par rancir à l'usage.


           Je te voulais heureux, alors tu es parti
           les nuages en ruine ont plu à ma colère,
           à l'aube des rosées tant d'aventures nouvelles
           mais de cette liberté je n'ai pu m'enivrer,

          et j'ai vomi ton nom pour danser à la foire de mes dérisions.





De l'écriture (bis)

Des mots durs pour hurler, des mots fous pour aimer
des mots faciles à dire, 
du papier à remplir,
sur le bout de langue chatouillis lexical
s'exercer au silence 
en portée transversale.


A l'abri d'un confort de 
légos mal construits
ouvrir une parenthèse 
comme on signe son pain
n'avoir dormi longtemps 
que pour ce bruissement
frisson d'eau gazeuse 
dans l'espace indolent.


Avec son attirail de points et de virgules
tant de cris aux étoiles, tant de rimes en loque
clin d'oeil de ton corps entre deux guillemets
murmures dans les bruyères de mes pieuses défroques.


A mes bras tendus pour me pendre, j'ai fixé l'attelage
carrosse aux flancs meurtris de curieux hématomes,
ainsi roulent à l'abîme les lettres monochromes
de ton nom qu'en secret, je trouvais mélodieux.


Toujours dans l'absence d'un futur frivole
le jour traîne en longueur comme un mauvais poème,
le sentiment est pâle à force de vertu
la voyelle assonante s'en veut d'être si blême.


Il faudrait des couleurs en vifs traits d'union
mais pour cela, vois tu, mieux vaut être amoureux !
débâcle du langage dans ma mémoire lasse
soulagement brutal d'avoir perdu ta trace...




La douleur est immonde


Je sais la plage longue                                                        
le vif des embruns,                                                                  
sur le sable compact
j'avance pas à pas,
la douleur est exquise au petit matin froid,
la douleur est immonde quand s'inscrit le mot fin.

Au prétexte jaloux, le caprice a cédé
La mémoire en prend acte.

Il en faudra des ruses, des feintes, des miracles
Il en faudra, c'est sûr, bien du temps, des regrets
l'obscène platitude des lieux communs usés qui raille,
point final,
en un paraphe étrange
le discours sans âge des amours trompées.



MA TOMBE EST UN JARDIN


Au royaume des fous qu'il aurait été simple
Ultime pacotille, de porter la couronne
Se mirer au nombril des ardeurs défuntes,
Se décorer les cils d'ignobles larmes peintes.

J'aurais pu être reine et ma cour flatteuse,
Personnage grotesque à tant forcer le trait
Cicatrice affligée d'une gangrène malheureuse,
Associer aux clichés mes veines rasées de près.

Qu'il aurait été simple, je le répète encore,
Sans doute pour me convaincre que les autres avaient tort.
Il fallu faire le tri parmi tout ce fatras
Accepter l'insomnie, refuser d'être un cas.

Après tout qu'en est-il de ce bonheur étrange
Qu'affiche sans vergogne ce curieux bonhomme
Qui voudrait à présent que je fasse l'aumône,
Mais dans ma main tendue, l'orgueil se défend.       

Le flou s'est dissipé, et le désert, aride
Mes larmes desséchées ont creusé tant de rides
Force est de constater qu'au miroir je ne peux
Cacher la vérité d'un corps devenu vieux.

J'ai souhaité la rature, mais la vie est tenace
J'ai voulu le silence moisi d'un cénotaphe,
Et je m'en vais charrier quelques pelletées de terre...
Ma tombe est un jardin où bruissent, solitaires
Des fleurs désolées de n'y pouvoir rien faire.



J'écoute ton regard

Les rideaux métalliques ont des accords de flûte
Les mots se précipitent, syllabes à peine audibles
Cascade saccadée, alentour choses arides
Perspective retournée.

Les images se décollent,
Fausse errance de la pensée,
S'étire le temps d'un monde
La plaisanterie fugace au bras d'une ombre exquise,
Rêverie parallèle qui féconde l'absence
Je voudrais tant que tu t'annonces.

J'écoute ton regard
Temps de désir sans voix
En plein ciel je nage, dessin d'art soufflé
Je tracasse la langue et enjambe le vide
Au point de suspension, dentelle de mots crochetée,

Je ruse avec le mythe de la rencontre nue.







recueil illustré par Bernard MUSSEAU - éditions Immédiat













7 commentaires:

  1. magnifique !!! superbes poèmes !

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  2. émue , emportée , envahie , complice

    Marie Louise heureuse

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  3. je n 'arrive pas à m'inscrire parmi vos abonnés ...... au secours !ML
    ML

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    1. je découvre aussi tout celà donc je me renseigne avant de vous donner le mode d'emploi !

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